vendredi 5 décembre 2014

LES TROIS MEDECINS (Episode 2/3)

 
L'épisode 1 se trouve ici : Les trois médecins (Episode 1/3)
 
... Même si encore aujourd’hui je pense que le métier de généraliste est formidable, son statut ne me convenant pas, je suis allé voir ailleurs ce qui se passait.
 
Médecin territorial :

C’est quoi cette bête ?

Un médecin territorial est un médecin exerçant au sein de la fonction publique territoriale. En ce qui me concerne j’ai opté pour bosser en Protection Maternelle et Infantile. Je suis donc devenu un fonctionnaire parmi d’autres payé par un conseil général. Basta la CARMF, l’URSSAF, le paiement à l’acte et tout le reste. J’ai conservé ma casquette de généraliste et me considère toujours faire partie du système de soins de 1 er recours puisque le médecin PMI assure des consultations qui contrairement aux idées reçues sont ouvertes à toutes les classes de la population à condition d’être âgé de moins de 6 ans. Ce sont essentiellement des consultations dédiées au suivi pédiatrique courant et non au curatif. On nous le reproche parfois, mais c’est ainsi, l’âge comme l’orientation de ces consultations dépendent de la loi, point barre. Le médecin de PMI intervient également dans les écoles maternelles pour réaliser des bilans de dépistage, faciliter l’inclusion d’enfants porteurs de handicap ou de pathologie chronique. L’avantage de ce type d’exercice est qu’il se pratique en équipe. Mes consultations se déroulent par exemple systématiquement en binôme avec une infirmière puéricultrice. On a le temps d’écouter, de rassurer, d’expliquer, de conseiller. La puéricultrice est le principal « équipier » du médecin PMI, ce sont deux professionnels complémentaires qui apportent autant à l’un qu’à l’autre. Ce n’est pas le médecin qui du haut de son piédestal ordonne à l’infirmière ce qu’elle doit faire. Très honnêtement et très humblement, les infirmières puéricultrices m’ont beaucoup appris et je suis aujourd’hui persuadé que de nombreuses consultations lorsque j’exerçais en libéral auraient gagné à être effectuées avec et même pour certaines d’entre elles uniquement par une infirmière puéricultrice. Je ferais la même remarque pour l’autre professionnelle qui constitue une équipe PMI : la sage-femme.

D’une façon générale, la question de la délégation de tâches est me semble-t-il abordée par l’angle de la pénurie de médecins, et sous-entend parfois une diminution de la qualité des soins. Les propos du type : « Le gynéco sait mieux faire que la sage-femme , le pédiatre sait mieux faire que le généraliste, le généraliste sait mieux faire que l’infirmière » sont réguliers. Tout cela est bien péjoratif et je ne suis pas d’accord. Je pense que nous sommes tous des soignants avec des champs de compétences complémentaires qui peuvent parfois se croiser. C’est donc à mes yeux une formidable opportunité à saisir et investir tant pour les professionnels que pour les patients. Rien ne vaut un petit exemple pour illustrer le propos. Malgré quelques notions de base apprises sur le tas plus qu'à la faculté de médecine, je suis une buse dans le domaine de l’allaitement maternel. J’ai pu remarquer que bon nombre de confrères généralistes comme pédiÂtres ne valent guère mieux que moi, médicalisent beaucoup la question au point de faire foirer le truc. Une maman allaitante ne tirerait-elle donc pas plus de bénéfices à consulter une infirmière puéricultrice mieux formée et plus compétente dans ce domaine pour l’accompagner ? Bref, je referme cette parenthèse pour reprendre ma casquette de médecin territorial.

Je précisais que toutes les classes de la population peuvent consulter à la PMI. C’est ce qui se passe concernant ma consultation, d’autant que la démographie en pédiatrie libérale du secteur a fondu comme neige au soleil. Il y a évidemment beaucoup de précarité et ces derniers temps, celle-ci a plutôt augmenté contrairement à l’offre pédiatrique dans son ensemble (que celle-ci soit exercée par des pédiatres libéraux ou hospitaliers comme par des généralistes). L’atout du travail en PMI est de pouvoir offrir ces consultations aux plus démunis, et leur proposer l’aide de nos collègues assistantes sociales (professionnelles dont j’aurais eu régulièrement besoin lorsque j’exerçais en libéral). Une fois de plus, contrairement aux idées reçues, il s’agit là d’une aide, d’un soutien, car on entend trop souvent que la PMI « place les enfants ». Je n’ai personnellement jamais placé un enfant… En revanche, le jour où il me semble nécessaire de faire un signalement d’enfant en danger, je le fais, mais comme n’importe quel autre médecin qu’il soit libéral ou hospitalier doit le faire, ni plus, ni moins.

Il ne faut pas s’attendre à gagner une fortune en exerçant ce métier, mais chacun voit midi à sa porte. Basta l’URSSAF, la CARMF, etc, mais bonjour les week-ends, les RTT, les congés payés, pas mal de formations financées par l’employeur, etc. Bon en vrai de vrai, le salaire n'est pas terrible, j'ai même osé parler de foutage de gueule ici. Je me demande parfois si le principal point de divergence entre la jeune génération de généralistes et l'ancienne n'est pas le désir du salariat pour la première pendant que la seconde s'agrippe sur son statut libéral tellement galvaudé qu'il n'a désormais de libéral que le nom. Si la voie du salariat se calquait sur la médecine territoriale, les djeunes cons rêveurs seraient alors vite refroidis pendant que les vieux cons leur lanceraient ardemment le terrible : "on vous avait prévenus !".

Comme certains médecins généralistes libéraux, un médecin PMI peut recevoir des internes de médecine générale en stage, ce que je fais et apprécie beaucoup tant pour le désir d'apporter un peu aux futurs médecins que de recevoir d'eux et de me remettre en question.

Ce qui me manque le plus ? La variété de l’exercice de la médecine générale auprès de patients âgés de 0 à 100 et quelques années.

Ce qui me manque le moins ? Miss URSSAF (entendre le statut libéral).

Ce qui est drôle (ou pas) ? Observer et chercher à comprendre les rouages du fonctionnement d’une institution qui ressemble finalement à l’Etat mais en modèle réduit. Un conseil général possède à sa tête un Président qui fait vivre la démocratie locale via une assemblée d’élus (les conseillers généraux). Les décisions des élus et les missions de la collectivité sont mises en œuvre par une administration et des services dotés de grands chefs, de moins grands chefs, de petits chefs, de plus petits chefs, de encore plus petits chefs, de sous-chefs, de sous-sous-chefs, du chef du papier, du chef des gommes, du chef de la machine à café. Tout ce petit monde de chefs est épaulé par un chef adjoint, voire deux. Organisation imparable pour diluer les responsabilités et faire culpabiliser en silence les petites mains de ces services dès que quelque chose dysfonctionne. Evidemment et une fois de plus je suis impardonnable puisque je caricature et fais un peu d’humour grinçant mais pas que. Venant du monde libéral, ce fut pour moi un peu le grand écart. Et de toute façon, apparemment ça va changer en mieux ou en pire je n’en sais rien, puisque Fanfan la rose pâle a décidé de réformer tout ça.

Ce qui est pénible ? Ne pas forcément être reconnu par l’impitoyable monde médical très schématiquement hiérarchisé de la façon suivante :

Grand 1) Ce qui se fait de mieux, l’exemplarité : la médecine hospitalière

Petit 2) Ils sont vraiment nuls voire dangereux mais on les veut partout et tout le temps : les médecins généralistes libéraux

Tout petit 3) C’est qui eux ? Ils ne servent à rien ces planqués de fonctionnaires : les médecins PMI (j’imagine que c’est un peu ça aussi pour les médecins scolaires)

Alors qu’on sert tous à quelque chose et qu’on s’enrichirait à mieux se connaître et à mieux travailler ensemble…


Bref, comme le curatif et l’action me manquaient un peu, et qu’avant tout je suis un incorrigible éternel insatisfait, je suis encore allé voir ailleurs ce qui se passait. Du tout petit 3, je suis passé au Grand 1.
 
 
 
"On peut répéter que l’habit ne fait pas le moine tant qu’on veut, c’est pas si vrai."
 
"Qu’un médecin généraliste assure ces consultations n’était donc finalement pas un non-sens, on peut en revanche se questionner sur le bien-fondé de ces consultations en ces lieux..."
 
 "...barricader derrière des examens complémentaires comme des prescriptions médicamenteuses injustifiés voire nocifs..."
 
"...toute autre politique de santé qu’une réelle, digne, ambitieuse valorisation et réorganisation de l’offre de soins de 1er recours n’est qu’un sparadrap souillé sur une jambe gangrenée..."

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